Facebook : sous pression des sénateurs américains, Mark Zuckerberg fait face

Le PDG était invité à s’expliquer devant les élus après le scandale Cambridge Analytica, qui a plongé le réseau social dans une grave crise.

L’attente était énorme : pour la première fois, mardi 10 avril, le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, a été auditionné par le Congrès des Etats-Unis. Il s’est expliqué devant deux commissions du Sénat rassemblées pour l’occasion, celle du commerce et celle de la justice, sur l’affaire Cambridge Analytica. Cette entreprise spécialisée dans l’influence politique est soupçonnée d’avoir récupéré des données de 87 millions d’utilisateurs du réseau social à leur insu


Le patron de Facebook a tenu face au barrage de questions des parlementaires, portant tant sur le sujet des données personnelles que sur l’ingérence étrangère dans les élections ou les soupçons de biais politiques de sa plate-forme. Arrivé en costume cravate, sans son célèbre sweat-shirt, Mark Zuckerberg a d’abord paru tendu. Puis il s’est progressivement montré plus à l’aise. Face aux questions parfois répétitives des sénateurs désireux de se montrer intransigeants, il a gardé son calme et il a campé sur ses positions. Une phrase répétée au moins une dizaine de fois a parfois agacé ses interlocuteurs, mais l’a sorti de plusieurs passes délicates : « Je n’ai pas la réponse à cette question, mais mes équipes vous recontacteront pour donner davantage de détails. »

Mark Zuckerberg a même pu paraître satisfait de sa prestation : « Nous pouvons continuer », s’est-il ainsi permis de répondre à deux reprises au président de la commission qui lui proposait de faire une pause après plus de deux heures d’échanges.

Actes de contrition
Par moments, les élus ont donné l’impression de ne pas connaître précisément l’activité de Facebook, notamment sur le plan technique. Et le PDG du réseau social, bien que cherchant à paraître toujours respectueux, s’est plusieurs fois permis de répondre qu’il ne comprenait pas la question posée.

Il a également multiplié les actes de contrition, promettant de « changer de philosophie », multipliant les références aux « erreurs » faites dans la gestion du dossier Cambridge Analytica avant l’éclatement du scandale et présentant les mesures annoncées depuis plusieurs semaines comme autant de preuves de sa bonne volonté.


Dans le détail, les sénateurs n’ont pas vraiment réussi à le pousser dans ses retranchements. « Combien d’autres Cambridge Analytica y a-t-il ? », a demandé un élu. « Avez-vous reçu des assignations dans le cadre de l’enquête sur l’ingérence russe dans l’élection par le procureur Robert Mueller ? », s’est enquis un autre. Le PDG a réussi à se sortir de la plupart des interrogations difficiles.

Certains épisodes l’ont tout de même mis mal à l’aise. Comme cette séquence dans laquelle le sénateur démocrate de l’Illinois Dick Durbin lui demande s’il aimerait « dire à tout le monde dans quel hôtel [il a] dormi hier ». « Non », répond M. Zuckerberg en souriant, ne voyant pas le piège que lui tendait son interlocuteur :

« C’est pourtant de cela dont il s’agit. Votre droit à la vie privée, les limites de la vie privée, et tout ce que nous abandonnons dans l’Amérique moderne. »
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Le PDG et cofondateur de Facebook à son arrivée devant la commission sénatoriale, à Washington, le 10 avril. De vraies questions de régulation Sur le fond, les échanges ont parfois touché des points sensibles qui pourraient nourrir les débats sur de potentiels futurs textes de loi s’appliquant aux grandes plates-formes en général et à Facebook, en particulier.

« Etes-vous d’accord sur le fait que Facebook n’est pas une plate-forme neutre et qu’elle porte une responsabilité pour le contenu qu’elle publie ? », a demandé le sénateur républicain du Texas John Cornyn. « Je suis d’accord que nous sommes responsables du contenu », a répondu M. Zuckerberg. La franchise de la réponse a tranché avec le discours généralement servi par le chef d’entreprise, qui répète toujours que le réseau social est « une entreprise de technologie » et non pas « un média ».

Derrière ces mots se cache un débat juridique très important des deux côtés de l’Atlantique car les « plateformes ou hébergeurs neutres » ne sont pas responsables, à l’inverse des médias. Et il est actuellement question, dans les discussions sur la directive européenne sur les services audiovisuels, par exemple, de considérer les réseaux davantage comme des « éditeurs » responsables et moins comme des « hébergeurs ». Concrètement, Mark Zuckerberg a expliqué mardi sa vision :

« Avant, nous n’avions pas d’outils d’intelligence artificielle donc nous dépendions des gens pour signaler des contenus aux plates-formes [qui étaient tenues de les supprimer ensuite]. Dans le futur, cela va changer. Et cela pose des questions morales que la société devra trancher. »
Le patron de Facebook se demande dans quelle mesure les entreprises pourront supprimer des contenus « proactivement ». Une capacité qui pose des questions techniques et juridiques.

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Mark Zuckerberg a répondu plusieurs heures durant aux questions des sénateurs américains, mardi 10 avril.
Le soupçon insistant du monopole
Dans un autre domaine, le sénateur démocrate du Connecticut Richard Blumenthal a insisté sur le consentement des utilisateurs. Avec d’autres, il défend un consent act, une loi qui imposerait de recueillir l’accord des internautes avant d’utiliser leurs données à des fins publicitaires, ce qui n’existe pas aux Etats-Unis. M. Zuckerberg s’est dit « d’accord, généralement », avec cette idée. Mais « les détails sont importants », a-t-il prudemment ajouté, refusant le principe d’imposer l’opt in (l’assentiment préalable) des utilisateurs. Enfin, la question de « l’antitrust », le respect de la concurrence, a aussi été abordée notamment par le sénateur républicain de Caroline du Sud Lindsey Graham :

« Si une Ford ne marche pas, je peux acheter une autre voiture. Quels sont les concurrents de Facebook ? Avez-vous le sentiment d’être en monopole ? » « Ce n’est pas le sentiment que j’ai », a répondu M. Zuckerberg, déclenchant des rires dans l’assistance. Le patron de Facebook a assuré ensuite que les gens utilisent en moyenne huit applications pour communiquer avec leurs proches. Une façon de dire que, si Facebook n’a pas d’équivalent direct, il n’est pas sans concurrence. La question est importante, car certains aux Etats-Unis défendent un démantèlement de Google ou de Facebook. Ce dernier pourrait par exemple avoir à se séparer du réseau d’échange d’images Instagram ou de la messagerie WhatsApp.

Un angle d’attaque politique sur l’aspect partisan de Facebook
Des élus républicains ont enfin choisi un angle d’attaque différent : le sénateur du Texas Ted Cruz s’est fait l’écho d’une critique récurrente issue de la droite dure, très influente en ligne, en accusant Facebook d’être politiquement partisan. Et de pencher à gauche. « Beaucoup d’Américains sont très inquiets que Facebook puisse avoir des biais et censurer sur des bases politiques », dit-il. « Je comprends d’où vient cette inquiétude, car nous sommes dans la Silicon Valley, un lieu très ancré à gauche. J’essaie de faire en sorte qu’il n’y ait pas de biais dans le travail que nous menons », a répondu M. Zuckerberg, assurant n’avoir jamais demandé les opinions politiques de ses employés – ou futurs employés. Si Ted Cruz n’a pas choisi l’angle d’attaque du respect de la vie privée, c’est peut-être parce qu’il a lui-même fait appel à l’entreprise Cambridge Analytica pour l’aider lors de sa campagne pour l’investiture républicaine, en 2015. « Pouvez-vous définir un discours de haine ? », a renchéri le sénateur républicain du Nebraska Ben Sasse, prenant l’exemple des opposants au droit à l’avortement « dans cette salle » accusés, injustement selon lui, de porter un tel discours. « C’est une question très difficile », a botté en touche M. Zuckerberg. Facebook a toujours été inquiet de paraître biaisé en faveur des démocrates.

Source : lemonde

publication : 11/04/2018