Burundi, Pierre Nkurunziza, Réforme de la Constitution, Afrique
Référendum au Burundi : le "guide suprême éternel" Pierre Nkurunziza, vers les pleins pouvoirs ?
© Marco Longari, AFP | Le président Pierre Nkurunziza lors du 53e anniversaire de l'indépendance du Burundi, le 1er juillet 2015.
Les Burundais votent jeudi pour modifier la Constitution, qui doit permettre au président de se représenter jusqu’en 2034. Les organisations de défense des droits de l’Homme dénoncent une dérive autoritaire et un climat de peur dans le pays. Le président burundais, Pierre Nkurunziza, entend mettre en applicatoin son titre de "Guide suprême éternel". Jeudi 17 mai, le chef d'État au pouvoir depuis 2005 appelle la population de ce petit pays d’Afrique centrale à un référendum pour modifier la Constitution. Une fois n’est pas coutume dans la région, où les réformes constitutionnelles fleurissent, la nouvelle mouture prévoit de renforcer considérablement les prérogatives du chef de l’État et lui offre la possibilité de se présenter pour deux septennats à partir de 2020. De quoi maintenir l’ancien chef rebelle de 54 ans au pouvoir jusqu’à 2034.
"Le référendum apparaît comme un stratagème visant à légaliser et ainsi légitimer le maintien au pouvoir de Nkurunziza pour deux mandats supplémentaires et renforcer son emprise sur le pays", affirme la Fédération internationale de droits de l’Homme (FIDH) dans un rapport à charge publié mardi. Dans la nouvelle constitution, le président récupère la quasi intégralité du pouvoir exécutif, jusque-là partagé avec le gouvernement et ses deux vice-présidents : il définira la politique de la Nation, le gouvernement devra se contenter de la mettre en œuvre. Un poste de Premier ministre, issu du parti vainqueur des élections, est créé, alors qu’un poste de vice-président est supprimé, laissant les pouvoirs du second, issu d’un parti différent de celui du président, réduits à peau de chagrin.
"Dictature sans nom"
"Si le oui l’emporte, le pays plongera dans une dictature sans nom, car ce sera un pouvoir extraordinaire de l’exécutif qui risque de faire taire toutes les autres institutions de la République", affirme l’opposant burundais Agathon Rwasa. Lundi, une foule de ses partisans s’est réunie à Gitega, ancienne capitale du royaume de l’Urundi dans le centre du pays, pour revendiquer le "non" au référendum. Mais leur appel restera sans doute inaudible, alors que le parti présidentiel, le tout-puissant CNDD-FDD, fait campagne depuis plusieurs mois, n’hésitant pas à recourir à l’intimidation contre les 4,8 millions d’électeurs. Ses Imbonerakure, les jeunes du parti, sillonnent les campagnes et font régner la terreur, selon la FIDH.
"De nombreuses violations des droits humains et une répression brutale s’exerce contre les opposants présumés au référendum. Cette tactique délibérée est directement impulsée par les plus hauts responsables de l’État qui ont dès décembre 2017 explicitement déclaré que les opposants au référendum s’exposeraient à de graves conséquences", relève l'ONG. L’opposition, dont une bonne partie des représentants est en exil, dispose de peu de marge de manœuvre, d’autant que le texte définitif de la Constitution n’a été publié que le 8 mai. Vingt-six partis, la majorité étant proche du CNDD-FDD, ont été autorisés à faire campagne. Les quelques partis d’opposition encore présents sont impuissants face à la majorité, et les appels à l’abstention sont passibles d’une peine d’emprisonnement. En outre, les médias internationaux BBC et Voice of America ont été interdits de diffusion début mai.
Possible remise en cause des accords de paix d’Arusha
Au-delà de la dérive autocratique, la nouvelle constitution fait craindre une mise à mal des dispositions sur les équilibres ethniques de l’Accord de paix d’Arusha (2000) et de la constitution de 2005. Ils avaient permis de mettre fin à la guerre civile qui a fait plus de 300 000 morts entre 1993 et 2006, en instaurant un système de partage par quota des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire entre les belligérants de l’époque, la minorité tutsie et la majorité hutue dont est issu Pierre Nkurunziza. Le nouveau texte, qui ne revient pas explicitement sur la question des quotas, ouvre la possibilité pour le Sénat de réexaminer ces équilibres dans un délai de cinq ans. "Même si ces équilibres ethniques ont déjà été largement remis en cause depuis avril 2015 et que les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont en grande partie contrôlés par le parti au pouvoir, le fait que la possibilité soit offerte au Sénat de pouvoir mettre fin aux quotas ethniques est extrêmement préoccupante dans le contexte actuel d’exacerbation des tensions ethniques par le pouvoir en place", affirme la FIDH.
Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Zeid Ra’ad al-Hussein, s’est aussi dit inquiet d’une montée des violences dans le pays durant la période du référendum. Vendredi, une attaque non revendiquée dans un village à 60 km au nord-est de la capitale a fait 26 victimes civiles, dont 11 enfants. Le gouvernement a annoncé qu’une enquête transparente serait menée pour discerner les responsabilités, mais "en raison des violations [des droits de l’Homme] constantes ces trois dernières années, et de ce référendum extrêmement controversé et diviseur, les actions des autorités sont vues avec une méfiance considérable par une partie importante de la population", signale le Haut-Commissaire. En 2015, la candidature de Pierre Nkurunziza à un troisième mandat avait déclenché une crise meurtrière, faisant au moins 1 200 morts et plus de 400 000 réfugiés.
Le fondateur de l’Association pour la protection des droits humains Pierre Claver Mbonompa, en exil en Belgique, dénonce un climat de peur au Burundi et réclame "que la communauté internationale passe à l’acte, par exemple en prenant des sanctions sévères pour que le pouvoir burundais ne parvienne pas à continuer à fonctionner". Mais les États-Unis et l’Union européenne, garants de l’accord de paix et hostiles au projet de réforme constitutionnelle, ont les mains liées au Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie et la Chine soutenant sans réserve le pouvoir burundais. Et les sanctions financières de l'Union européenne, mises en place depus le début de la crise socio-économique de 2015, ne semblent pas avoir eu beaucoup d'effet pour rompre le dialogue de sourds avec Bujumbura.
Première publication : 17/05/2018 France 24